« La démocratie exige que les partisans acceptent que le processus soit plus important que les résultats. », éditorial du New York Times (https://legrandcontinent.eu/fr/2024/07/14/pour-empecher-la-reelection-de-donald-trump-10-des-americains-seraient-favorables-a-la-violence/)
En Côte d’Ivoire, cela ne semble pas être la donne. A l’approche de l’élection présidentielle d’octobre 2025, le climat politique surchauffe de plus en plus ; pour cause, la publication de la liste électorale définitive par la Commission électorale indépendante (CEI) a confirmé l'exclusion de plusieurs figures majeures de l'opposition, notamment Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam, en raison de condamnations judiciaires. Ces exclusions suscitent des crispations et des réactions vives de la part des partis concernés. Ils contestent la légitimité de ces décisions et mobilisent leurs partisans pour réclamer leur réinscription sur le fichier électoral 2025.
Le pouvoir en débordement latéral, l’opposition contre-attaque
Pour faire entendre ses revendications, le Parti des Peuples Africains - Côte d’Ivoire (PPA-CI) a organisé le samedi 06 juin dernier un énième rassemblement populaire, à Port-Bouët, pour dénoncer la non-inscription de Laurent Gbagbo sur la liste électorale, et annoncer des « actions concrètes » dans les jours à venir.
Avant le meeting du PPA-CI sus-indiqué, le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), par le biais de son leader Cheick Tidjane Thiam, a saisi les instances onusiennes pour contester son éviction de la liste électorale ivoirienne, arguant de l'irrégularité de la procédure. Cette contestation, il l’avait déjà indiquée le 31 mai dernier, dans un discours délivré en vidéo devant plus de 5 000 militants et sympathisants rassemblés place Ficgayo, à Yopougon. Il a, dans la foulée, autorisé, en faveur des militants et sympathisants du PDCI, l’organisation de manifestations pacifiques éclatées et coordonnées sur tout le territoire national, afin, dit-il, de maintenir la pression sur le pouvoir et démontrer à la communauté internationale son ancrage national.
La stratégie de l’opposition ivoirienne vise donc clairement à faire pression au plan intérieur et à internationaliser la dénonciation de la « mascarade électorale ».
A côté de ces politiques, des organisations de la société civile ivoirienne réclament aussi la réinscription des ces leaders sur le fichier électoral en vue d'une élection présidentielle inclusive, concurrentielle et démocratique.
Face à ces contestations plurielles, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), parti au pouvoir, lui, multiplie les déclarations publiques pour se dédouaner de tout soupçon d'écarter des adversaires importants. Il tente par la même occasion de rassurer la population et la communauté internationale sur la transparence du processus électoral, sur la stabilité des institutions et sur le respect des engagements de paix, tout en mettant sur le compte de la mauvaise foi les dénonciations de l’opposition.
La communication en tranchées
Dans ce contexte, le constat est amer. La communication politique est ici clivante. Chaque camp creuse son sillon sans dévoiler clairement sa stratégie électorale. Cependant, leurs mots sont tranchants ; ils les utilisent à dessein pour mobiliser les siens et diaboliser l'adversaire. Les propositions d’amélioration de la vie des citoyens ne sont plus audibles, quand elles existent encore. Les discours polarisent et exacerbent les divisions. Cette absence de mécanisme permanent et consensuel de concertation entre les différentes parties risque au final de compromettre la stabilité du pays et raviver les souvenirs douloureux des crises passées. Nul ne sait à l’avance les conséquences d’un chaos qu’on entretient. La sagesse nous impose d’éviter de continuellement jouer avec le feu.
Quand les mots déchainent la violence
Si la situation ivoirienne est préoccupante en ce moment, elle rappelle tragiquement comment des discours et des actes politiques polarisés peuvent dégénérer en drame. Ailleurs, l'exemple le plus frappant et récent est l'attentat contre Donald Trump, à Butler aux États-Unis, le 13 juillet 2024. Un assaillant, armé d'une carabine semi-automatique, tentant de l'assassiner, a blessé M. Trump à l'oreille, et tué un spectateur, avant d'être abattu par les forces de l'ordre.
Cet événement choquant est survenu après des années de rhétorique extrêmement violente et déshumanisante circulant dans l'arène politique américaine et sur les réseaux sociaux. Les discours incendiaires, la propagation de théories du complot (le "Big Lie" sur la supposée fraude électorale de 2020), et la diabolisation constante de l'adversaire ("enemies of the people") ont créé un climat toxique où la violence physique est apparue à certains dégénérés, à l'instar de ce tireur, comme une réponse légitime (lire le rapport https://democracy.uchicago.edu/).
Cet attentat perpétré par cet individu radicalisé par le climat et le discours démagogique est une sombre démonstration des conséquences potentielles d'une communication politique irresponsable et de la délégitimation systématique des institutions et des opposants.
L’urgence d’une communication politique apaisée
La polarisation politique extrême et la rhétorique incendiaire peuvent ainsi conduire à des actes de violence. En France par exemple, des mécanismes institutionnels et médiatiques existent pour désamorcer pareilles tensions. Le président de la République actuel, Emmanuel Macron, n’hésite pas, quand c’est nécessaire, de consulter ses opposants, même les partis jugés extrémistes, pour « dégonfler le ballon ». La Côte d’Ivoire pourrait s’en inspirer, ou même inventer son propre génie régulateur des tensions politiques.
Pour éviter des dérives aux conséquences dramatiques chez nous, il est plus que nécessaires que tous les acteurs politiques adoptent une communication responsable, axée sur l'inclusivité, la transparence et le respect des institutions. La mise en place d'un dialogue constructif entre le gouvernement, l'opposition et la société civile me paraît encore possible pour restaurer la confiance et garantir des élections apaisées.
Un observateur politique me faisait dernièrement part de son analyse : "L'élection présidentielle sera apaisée parce que le président sortant, d'après mon analyse, choisira de ne plus candidater. Je suis convaincu, en revanche, qu'avant de partir, il va mettre son farouche adversaire, Laurent Gbagbo, à la retraite en même que lui, et donner une punition à Cheick Tidiane Thiam d'avoir voulu le discréditer en détricotant son bilan."
Son analyse n'est que supputations et ressemble fort, si cela se vérifiait, à de la "politiquette". Attendons de voir le congrès du RHDP les jours à venir pour percer un peu plus ce brouillard politique en Côte d'Ivoire.
Conclusion
Quoiqu'il en soit, la communication politique doit demeurer un instrument de dialogue social. Cela implique pour chaque leader, pour chaque responsable, d'éviter la diabolisation et d'exprimer clairement la reconnaissance du droit de l’autre à exister politiquement. Il faut également promouvoir des canaux sincères entre pouvoir et opposition, et la diffusion de messages centrés sur les attentes légitimes des populations.
Lorsque ces éléments seront utilisés à bon escient, la communication politique sera un important levier pour prévenir les conflits et promouvoir la cohésion sociale en Côte d'Ivoire. Il appartient aux leaders ivoiriens de faire preuve de sagesse afin de guider ce pays vers un avenir pacifique et véritablement démocratique.
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