Transformer
l'ennui en une énergie créatrice
Vous connaissez peut-être cette sensation au travail ? Cette légère torpeur qui s'installe entre deux tâches, ce temps indéfini où notre esprit semble se balader sans but précis, en attendant un paiement, la confirmation d’un contrat ou la communication d'un fichier. Cela vient de l’ennui, l’ennui coupable.
Dans un monde professionnel où l’optimisation du temps et la productivité règnent en maîtres, l’ennui, surtout chez le salarié, est perçu comme un dysfonctionnement, un frein à l’efficacité. Mais, avant de lutter frénétiquement contre cet « ennui » ou de nous sentir réellement coupable, arrêtons-nous.
Selon des chercheurs, l'ennui modéré est un puissant catalyseur de créativité. L'étude de Mann et Cadman (Does Being Bored Make Us More Creative ?, 2014), a montré que des participants soumis à une tâche ennuyeuse avant un test créatif obtenaient de meilleurs résultats. La psychologue Sandi Mann, spécialiste du sujet, explique que cet ennui pousse notre cerveau à chercher en interne des solutions et des connexions nouvelles, faisant de cet organe à ce moment-là un terreau fertile pour l'innovation…
Et si ne rien faire, pendant un court instant était précisément ce dont notre cerveau avait besoin pour mieux penser, pour être créatif ?
Un signal à décrypter, pas toujours à éradiquer
Dans nos vies professionnelles hyperconnectées et rythmées, l'ennui est souvent diabolisé. Synonyme de paresse ou de désengagement, on le combat à coup de notifications consultées, de scrolls infinis sur les réseaux sociaux, ou de micro-tâches inventées. Pourtant selon un autre expert en neurosciences, John Eastwood, l’ennui n’est pas une absence, c’est un signal. Il décrit l’ennui comme un message du cerveau, qui en manque de stimulation, nous envoie une alerte : « reconnecte-toi à un but ». L’ennui temporaire est donc un état précieux qui ouvre notre espace mental à la créativité. Il exprime l’amorce d’un travail cognitif profond et prépare le terrain à l’intuition créative. Qu’on le retienne, l’ennui modéré est plus qu’un indicateur d’inconfort, c’est un allié de productivité.
Comment l'ennui régénère nos idées
Le cerveau en mode par défaut
Les neurosciences ont mis en évidence un phénomène fascinant : le « mode par défaut » du cerveau. Lorsqu’on n’est pas concentré sur une tâche exigeante, le cortex préfrontal médian et le cortex cingulaire postérieur notamment, s’activent. Ces régions cérébrales sont associées à la mémoire autobiographique, à la projection dans l’avenir, à la résolution de problèmes… et à la créativité.
En clair, ce
que l’on appelle communément « rêvasser » ou « ne rien faire »
correspond à une activité cognitive intense, mais souterraine. Ce processus est
d’autant plus fécond qu’il s’inscrit dans des moments de relative inactivité comme
lorsqu’on s’ennuie devant un écran de télé, à une réunion interminable, ou
pendant une tâche mécanique peu engageante.
Comme un espace de stockage qui se réinitialise
L'ennui crée
une pause dans le flot constant d'informations et de stimuli. Ce vide apparent
est indispensable à la régénérescence. Il laisse de la place à notre subconscient pour traiter ce qu'il a
absorbé, remixer des éléments et faire émerger des solutions ou des concepts
originaux que la concentration intense étouffait peut-être.
Au hasard des idées novatrices
Lorsque nous
sommes focalisés sur une tâche spécifique, notre pensée est logique,
séquentielle. L'ennui permet à notre esprit de divaguer, d'associer librement des éléments épars, de prendre des
chemins de traverse. C'est souvent sur ces sentiers non balisés que naissent
les idées les plus novatrices.
L’évasion saine remet les idées en place
Parfois,
l'ennui est simplement le signe que notre cerveau a besoin d'une pause. Forcer la concentration sur une
problématique complexe sans pause mène souvent à la frustration et à la pensée
stéréotypée. Un moment d'ennui permet une mini-régénération, un « reset »
qui nous permet de revenir plus frais et avec un nouveau regard.
Transformer l'ennui en carburant créatif
Bien sûr, il
ne s’agit pas d’instaurer une oisiveté permanente au travail. Toutefois, l’enjeu
est d’apprendre à accueillir, à intégrer
consciemment ces moments de vide productif, à les canaliser, afin de stimuler
notre potentiel créatif. Pour ce faire, il faut :
- Faire
des pauses régulières sans écran : une courte marche, quelques minutes de silence
ou de méditation, loin des sollicitations de notre téléphone, permettent à
l’esprit de se reposer et de se régénérer.
- Accepter
l’ennui au lieu de le fuir : plutôt que de combler immédiatement chaque rêvasserie
par une distraction (scrolling sur téléphone, jeux à l’écran), on peut
apprendre à observer ce vide et à en faire un allié. Par exemple, on peut intégrer
délibérément de courtes périodes
de « non-travail » dans notre journée. 5 à 10 minutes où
on va s’autoriser à regarder par la fenêtre, à marcher sans but précis, à
faire une tâche manuelle simple et répétitive (ranger du papier,
trier...), ou juste... ne rien faire de particulier, laisser notre esprit
vagabonder.
- Stimuler
la pensée associative : tenir un carnet d’idées ou une appli de notes dans
ces moments de vide est important, des
idées peuvent surgir de nulle part ; griffonner ou prendre des
notes peut révéler a posteriori des intuitions inattendues, des idées
créatrices.
- Distinguer
l’ennui fertile du désengagement : soyons vigilant, si l’ennui devient chronique,
persistant et s'accompagne de démotivation profonde, il peut signaler un
vrai malaise (manque de défis) ; dans ce cas, il nécessite une action
énergique (discussion avec le manager, recherche de nouveaux projets).
Conclusion
Dans notre rapport contemporain au travail, l’ennui semble à contre-courant des impératifs d'efficacité. Pourtant, loin d’être un ennemi, il peut devenir un puissant catalyseur de renouveau intellectuel. Comme la nuit permet au jour de se régénérer, ces interstices d’ennui, aussi courts soient-ils, permettent à notre cerveau de se réorganiser, de se recentrer et de créer. Réhabilitons l’ennui temporaire, modéré. Non comme un symptôme à éradiquer, mais comme une pause féconde dans le rythme effréné de nos vies professionnelles. Il est grand temps de reconnaître que parfois, c’est précisément quand l’on s’ennuie que l’on commence à penser autrement. Offrons à notre esprit le luxe indispensable de la rêverie, ce carburant essentiel de l'innovation et de la pensée véritablement créatrice.
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